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Une année d’accélération génocidaire occidentale du peuple palestinien

Une année d’accélération génocidaire occidentale du peuple palestinien

Par: Dyala Hamzah* et Vincent Romani**

Un·e « bon·n·e » colonisé·e est mort·e ou impuissant·e

  1. La résidualité victimaire des communautés autochtones qui ont survécu à plusieurs siècles de colonisation occidentale convient à nos élites et à notre conscience coloniale : on peut alors faire des musées, de « l’humanitaire », de la folklorisation, des célébrations, verser quelques larmes, coopter quelques individus, sans jamais remettre en cause la prédation économique, la structure extractiviste, le vol des terres, l’extermination. Mais pour peu que des individus ou des groupes colonisés se révoltent et résistent, que leur image écrasée se redresse, tombe alors, et toujours, le masque libéral, laissant place à la violence hideuse, à la cruauté, à la férocité blanche : de Oka aux territoires Wet’suwet’en, de la Nouvelle Calédonie à la Palestine, le droit de se défendre est toujours celui du colonisateur. Pour exister légitimement dans la conscience du colonisateur, la personne colonisée ne peut être que survivante impuissante, inférieure, isolée, « sauvée » et pleine de gratitude envers son colonisateur.

    Jamais vous n’entendrez de nos gouvernants et de nos médias que les Palestinien·ne·s ont le droit de se défendre, y compris par la violence, comme le prévoient le préambule de la Déclaration universelle des droits humains et plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies. Dès que des Autochtones s’insurgent pour défendre leur existence et leurs droits politiques, le dicton colonial génocidaire universel resurgit immanquablement : « un·e bon·n·e colonisé·e· est un·e colonisé·e mort·e », cela, décliné dans tous les contextes. L’instrument le plus pernicieux consiste à mobiliser le narratif du « conflit symétrique », au nom d’une fausse neutralité : où Palestinien.ne.s et Israelien.ne.s sont constitué.e.s en deux parties égalisées. Contrevérité historique, ce narratif amplifie la propagande sioniste la plus grossière en niant la relation d’asymétrie coloniale qui dicte les rapports de pouvoir entre Israélien.ne.s et Palestinien.ne.s depuis 1948.

     

  2. La subjectivité du tortionnaire s’impose à l’expérience de ses victimes

    Jamais vous ne verrez dans nos médias dominants des personnes palestiniennes être humanisées à travers leurs projets, leurs histoires, leurs espoirs, leurs familles, et cela, en elles-mêmes et pour elles-mêmes, sans symétrisation avec des personnes juives israéliennes. Depuis un an, vous n’aurez eu droit qu’au calvaire, humanisant et compassionnel, des mort·e·s juif·ve·s israéliennes, avec leurs photos en médaillon, celles de leur famille et de leurs animaux : ainsi va le privilège colonial, qui prête une humanité au colonisateur et non au colonisé. Un assassinat au couteau, au pistolet, au fusil, peut être filmé et restitué médiatiquement ; mais ce n’est pas le cas du carnage provoqué par le largage de centaines de tonnes de bombes et d’obus américano-israéliens, car ces engins démembrent, éventrent, décapitent, calcinent : leurs explosions ne sont pas télévisables de près, pas télégéniques. Elles n’en constituent pas moins des milliers d’attentats terroristes contre une population civile sans défense, concentrée de force dans des camps qui deviennent des lieux de mise à mort en masse. Pourquoi la notion d’otage ne s’applique-t-elle donc pas à elle?

    Les hôpitaux détruits délibérément ne peuvent plus sauver les blessé·e·s. Les puits détruits volontairement ne peuvent plus hydrater les survivant·e·s. Les médecins et humanitaires assassinés par Israël ne peuvent plus soigner et ravitailler la population. D’où ce chiffre prévisionnel de 186 000 mort·e·s palestinien·ne·s au 19 juin 2024, avancé par The Lancet, presque un dixième des habitant·e·s de la bande de Gaza. Soit : les 41.000 personnes massacrées, comptabilisées par le ministère de la santé palestinien; les personnes décédées à cause de l’absence ou inadéquation des soins; celles mises à mort par famine ou déshydratation; celles « disparues », c’est-à-dire, pulvérisées par les bombes, ou encore sous les décombres – celles donc dont les corps n’ont jamais été recouvrés. Vous ne le saurez pas en lisant nos grands médias car plus de 120 journalistes palestiniens ont été assassiné·e·s à Gaza dans la complaisance hideuse de leurs « homologues » d’Occident, et ne peuvent plus vous informer. Au lieu de cela, une censure consciente et inconsciente, raciste et coloniale, s’est abattue sur les rédactions occidentales. Quand celles-ci s’expriment, c’est toujours pour rappeler le 7 octobre 2023, date de la contre-attaque palestinienne sanglante qui a fait des centaines de victimes civiles israéliennes mais aussi militaires, et sans que l’on ne sache encore aujourd’hui (et le saura-t-on jamais?) la part exacte de ces morts du fait des tirs d’aéronefs israéliens.

     

  3. L’exterminabilité des Palestinien·ne·s est acquise et leur survie fait désormais problème

    Comme si l’extermination de la Palestine et de son peuple avait commencé le 8 octobre 2023! Comme si la Nakba, c’est-à-dire le nettoyage ethnique de la Palestine en 1947-48, ses 90 massacres (90!), ses 530 villages dépeuplés puis rasés, et les guerres ultérieures n’avaient pas existé! Le projet sioniste mis en œuvre en Palestine porte en lui-même l’éradication des Palestinien·ne·s et leur remplacement. Entre 1948 et le 7 octobre 2023 seulement (c’est-à-dire, en excluant celles et ceux tué·e·s par l’occupant britannique et les milices sionistes entre 1917 et 1947), ce sont plus de 35 000 personnes palestiniennes qui ont été tuées par leurs colonisateurs. Quel média nous rappelle invariablement ce chiffre et ce mot de « Nakba », à chaque action violente palestinienne ? Depuis le 8 octobre 2023, soit en l’espace d’un an, ce sont désormais plus de 41 000 morts directes qui s’y ajoutent, et nous voyons que cela s’accélère encore, car la mort palestinienne n’est pas un « effet collatéral », mais bien un objectif direct, avoué et itératif du gouvernement israélien, pressé par le calendrier électoral états-unien.

    Alors, que s’est-t-il passé en Israël depuis l’assassinat de Muhammad al-Durra, cet enfant de 12 ans tué à Gaza dans les bras de son père impuissant sous les tirs israéliens, en septembre 2000 ? Reconnaissant d’abord la culpabilité israélienne, la propagande sioniste avait ensuite âprement lutté pour nier cet assassinat, jusque dans les tribunaux, harcelant les journalistes à l’origine du reportage, manipulant les faits et les rapports. Depuis cet assassinat, l’ordre symbolique de l’humanité s’est inversé : il ne s’agit plus de nier l’assassinat d’un enfant palestinien, mais de justifier celui de dizaines de milliers d’autres, voire, de le célébrer, pour une grande part de la population israélienne juive. Vieux de plus de 75 ans, le mécanisme complexe d’innocentement, d’ignorance, et d’hubris coloniale s’est récemment emballé en Israël, avec la complaisance et la complicité croissante de sociétés occidentales, qui n’ont jamais remis en question leur propre colonialité et voient un miroir en Israël plus qu’un repoussoir. Mais, ce que la recherche montre depuis plus de 20 ans, c’est que l’économie israélienne a maintenant achevé la substitution du travail palestinien par la main d’œuvre juive, puis immigrée : les Palestinien·ne·s auparavant nécessaires du fait de leur exploitabilité économique sont devenu·e·s désormais complètement inutiles à Israël et donc exterminables, en trop ou périmé.e.s, sur leur propre territoire.

     

  4. Le pouvoir colonial et la subjugation des sciences sociales

Se revendiquant de l’héritage intellectuel des Lumières – un paradoxe, quand on sait que ces dites Lumières ont accompagné toutes les exterminations coloniales, les guerres et les génocides européens – les régimes occidentaux sont tout à fait sourds aux recherches scientifiques sur la Palestine, tant la vérité des crimes coloniaux leur est insupportable. Miroir tendu à leur propre histoire, cette extermination coloniale vient pourtant s’opposer frontalement aux principes élémentaires de justice et d’humanité dont se prévaut toute société. En fait, ce niveau d’atrocités et d’injustices gratuites est tellement menaçant pour l’intégrité psychique des Occidentaux qu’il doit être ou bien nié ou bien justifié en retournant le blâme contre la victime.

Les sciences humaines et sociales ne permettent pas ici de blâmer la victime palestinienne du projet colonial sioniste et occidental : se dispensant de la vérité scientifique et lui substituant les mensonges prêts à consommer de la propagande israélienne, les médias, à la suite de nos gouvernants, ont érigé en ennemis les défenseur·e·s des droits de la personne, les militant·e·s pour la justice, universités et universitaires opposé·e·s aux discours génocidaires et aux politiques qui les accompagnent. Alors quelle différence entend-on faire, désormais, entre cette dispense et cette substitution (libérales!), et les promesses populistes d’un monde où faits historiques et vérités scientifiques sont instantanément commuables en fake news?

Les concepts de sciences sociales se multiplient depuis des décennies pour comprendre et désigner l’éradication coloniale sioniste des Palestinien·ne·s. Nakba, ethnocide, politicide, spatiocide, scholasticide, éducide, écocide, urbicide sont des notions utiles pour désigner tout ou partie du processus génocidaire actuel. En 2006 l’essai de l’historien Patrick Wolfe dans le Journal of Genocide Studies fait date à cet égard en expliquant comment les éradications coloniales visent invariablement à éliminer et remplacer les autochtones, et que c’est la rapidité variable de ce processus qui le qualifie parfois de génocidaire, lorsqu’il s’accélère brutalement, comme maintenant en Palestine. Mais des voix autochtones postulent l’inverse, tel Matthew wildcat qui pointe que le colonialisme d’établissement est invariablement génocidaire.  Tamara Starblanket, chercheuse Cree, montre dans Suffer The Little Children à quel point la notion juridique de génocide a été volontairement appauvrie par rapport au sens que lui conférait son géniteur, Raphael Lemkin, mais aussi par rapport au sens qu’entendent lui donner les sociétés et communautés survivantes du colonialisme. Elle montre que son intégration au corpus du « droit positif » s’est faite par son évidement et son alignement sur les rapports de pouvoirs qui déterminent ce « droit positif ». C’est ainsi que l’action diplomatique du Canada a été déterminante pour faire supprimer l’élément de destruction culturelle de la liste des actes génocidaires de la Convention de 1949, permettant ainsi que le crime des pensionnats canadiens et québécois échappe à l’imputation génocidaire.

Plus largement, ce que démontrent beaucoup de communautés survivantes des génocides coloniaux, et aussi une part croissante de chercheuses et chercheurs, c’est la nécessité de décoloniser la notion même de génocide, de sorte à inclure les éradications coloniales passées et présentes, en prenant en compte l’entrelacement des éléments culturels, identitaires, environnementaux et territoriaux, ciblés par le colonialisme. Ce sont donc plusieurs temporalités génocidaires qui se superposent en Palestine, croisant expulsion de masse et de détail, vol des terres, massacres de nourrissons, enfants, adultes et aîné·e·s, destructions des économies, des cultures, des villes et villages, des routes, des puits, des écoles, des mosquées, des églises, des universités, des hôpitaux, jusqu’aux cimetières.

 

Dyala Hamzah : Professeure agrégée,Département d’histoire, Université de Montréal

Vincent Romani :Professeur agrégé, Département de science politique Université du Québec à Montréal

photo par : Samir Youssef - sadaonline

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